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Enquêtes de la WDR sur le World Wide Fund for Nature
Le WWF et l'industrie / Le pacte avec le panda[1]
Par Lars Langenau[2]
sueddeutsche.de Média [Original allemand: http://bit.ly/SZPandaPakt]
22 juin 2011, 19h00

Quels sont les véritables liens entre le WWF et l'industrie? À l'heure du cinquantième anniversaire de la création de l'organisation, le groupe de radiotélévision allemand WDR a enquêté dans les coulisses de cette organisation environnementale internationale si connue. Son documentaire explosif illustre à quel point l'organisation est mêlée aux intérêts des industriels et à leurs milliards de profits.

Imaginez des bébés tigres, des oursons polaires ou de jeunes orangs-outans... Ne voilà t-il pas un tableau attendrissant, qui suscite automatiquement la sympathie? Une image imparable pour émouvoir les enfants. Pourtant, un seul animal les surpassera toujours tous : le panda, la douceur incarnée!

Le panda est l'effigie de la très célèbre organisation World Wide Fund for Nature (également connue sous son ancienne appellation « World Wildlife Fund »). D'après une étude de marché, cette organisation de protection de la nature, la plus puissante au monde, a l'une des images les plus crédibles au monde. Depuis 50 ans, elle incarne les enjeux de protection du climat, de développement durable et de préservation de la diversité biologique de la Terre.

Et elle est toujours en quête de donateurs”¦ au service de la nature. Les enfants n'hésitent d'ailleurs pas à casser leur tirelire ou encore à collectionner les photos d'animaux que le géant allemand de la grande distribution, Rewe, distribuait jusqu'il y a peu comme cadeaux promotionnels, en collaboration avec le WWF. Un succès retentissant qui a généré une véritable frénésie de collection (campagne « Animaux Aventures. Découvrez-les tous! »). Les donateurs ont ainsi l'impression d'acheter un petit bout d'un monde idéal.

Mais la réalité, du moins en partie, est bien différente.

D'après l'enquête de la WDR, la très influente organisation environnementale WWF (avec ses dons annuels atteignant près de 500 millions d'euros, ses 4 000 salariés et ses antennes implantées dans plus de 100 pays) a noué des liens extrêmement étroits avec les intérêts des industriels. Si bien que l'on en vient à se demander si le travail de cette ONG est bien en accord avec son slogan « For a living planet » (pour une planète vivante).

Dans le documentaire de la WDR intitulé « Le pacte avec le panda », diffusé par ARD  vendredi dernier à 23h30, le journaliste Wilfried Huismann (plusieurs fois récompensé par un Grimme Preis) suggère que l'organisation exploite parfois la crédulité des donateurs pour des intérêts qui servent pourtant bien peu la défense de la planète.

Rapide tour du monde

Huismann montre que le WWF aide activement certaines sociétés douteuses à obtenir des « certificats de durabilité ». L'organisation participe en effet à des « tables rondes » avec des sociétés d'OGM comme le géant agricole Monsanto ou la multinationale Wilmar Group pour certifier ensuite qu'ils produisent du soja ou de l'huile de palme dans le respect des critères de « durabilité ».

Dans le documentaire, l'organisation de protection de la nature justifie ces liens étroits en tant que démarche « non-idéologique » permettant « de parvenir à un bon compromis plutôt que d'afficher une opposition systématique ». Dans son enquête, Huismann illustre ce que peuvent être les conséquences de ce type de coopération avec l'industrie.

Déplacement d'un million d'habitants autochtones au nom de la protection des tigres

Ainsi cite-t-il, entre autres exemples, le déplacement massif, souvent contraint, de peuples autochtones, en Inde et en Indonésie; des peuples qui coexistent pourtant depuis des siècles avec les animaux sauvages, qu'ils vénèrent comme des animaux sacrés. Wilfried Huismann s'est rendu en Inde, où un million d'habitants autochtones ont été déplacés, soi-disant pour la protection des tigres. Une véritable absurdité d'après les militants locaux. Le projet du WWF de protection des tigres existe depuis 1974, date à laquelle il restait encore 5 000 tigres. Si cette campagne avait été efficace, nous en compterions aujourd'hui au moins 8 000, dit un militant écologiste. Or, nous en sommes bien loin. Et les rares félins qui subsistent sont talonnés de près, huit heures par jour, dans toute leur réserve, par des éco-touristes amenés sur place par la propre société de voyage du WWF et transportés dans ses 155 jeeps. D'après l'enquête, ces visiteurs fortunés déboursent près de 10 000 $ pour s'accorder un tel privilège, alors même que les militants locaux s'indignent de voir la forêt primaire détruite au nom de l'éco-tourisme.

En Argentine, le problème est lié au fait que les monocultures d'OGM exercent un lourd stress sur les hommes et sur l'environnement. Huismann s'est rendu dans le Nord du pays, dans la région du Gran Chaco, autrefois la plus grande savane du monde. Aujourd'hui réduite de moitié, cette zone est largement occupée par une monoculture de soja, qui grignote toujours plus de terrains alentour et est accusée de rendre les populations locales malades. L'attitude du WWF? « Aujourd'hui, en Amérique latine, les terres exclusivement consacrées à la culture du soja représentent deux fois la superficie de l'Allemagne », annonce le narrateur du film. « Et il est prévu que cette superficie soit multipliée par deux. Or, la branche argentine du WWF soutient le projet car, de son avis, dans cette région, les forêts ont une "faible valeur" et ont été "dégradées" par les activités humaines ». Quant à la forêt primaire, il n'en reste plus rien.

Le travail de funambule d'une organisation de protection environnementale

Huismann est également allé à Bornéo, où le défrichage par brûlis opéré pour installer des monocultures de palmiers destinés à la production d'huile de palme avance bon train. En contrepartie, les responsables du projet ménagent une forêt symbolique pour très précisément deux orangs-outans. Or, même ces deux individus risquent de mourir de faim compte tenu de la taille minuscule de leur réserve, indique Huismann. « 80 hectares sur une plantation de 14 000 hectares, c'est à peine 0,5 %. Et l'on appelle cela un projet réussi, alors même que 99,5 % sont tout bonnement anéantis? » Dans l'une des scènes les plus marquantes du documentaire, Doerte Bieler, spécialiste de la biomasse au WWF, répond laconiquement à ce sujet : « Si ces 80 hectares n'étaient plus là, ils seraient condamnés à une mort certaine. Ils seraient même déjà morts. »

Puis, lorsque Huismann lui demande de citer un exemple de coopération réussie avec l'industrie, elle reste sans réponse. Ce qui est important à ses yeux, c'est que l'organisation non gouvernementale WWF ne « soit pas raillée mais qu'elle soit vue comme un interlocuteur compétent ».

En Indonésie, Huismann a visité une plantation qui, d'après son enquête, vient justement d'être certifiée avec l'aide du WWF comme étant conforme aux critères de « durabilité » et sur laquelle, pourtant, des eaux usées non filtrées s'écoulent dans le sol. Avec cette certification, « la société peut prétendre aux aides prévues pour les "énergies régénératives" » précise le narrateur du documentaire, qui ajoute que « le WWF touche une compensation pour avoir conseillé la société sur le thème du développement durable. De part et d'autre, c'est une bonne affaire ».

D'après Huismann, une grande banque verse à elle seule plus de 100 millions de dollars dans le cadre d'un « partenariat climat » avec le WWF. Alors que dans le même temps, en Indonésie, cet établissement bancaire finance des projets de coupe rase entrepris par des sociétés de commercialisation d'huile de palme, aux mains desquelles de larges superficies de forêt tropicale ont déjà succombé. Malgré tout, le WWF continue de côtoyer les plus grands groupes de l'agroalimentaire dans le cadre de l'initiative de « Table ronde pour une production d'huile de palme durable » (RSPO / Round Table for Sustainable Palm Oil). D'autres ONG, comme Les Amis de la Terre ou Greenpeace, quant à elles, ont fait le choix de prendre leur distance et de ne plus participer à cette initiative (pour celles qui y ont déjà participé).

Un mariage avec l'aristocratie de sang ou d'argent

Le documentaire évoque également l'implication de l'aristocratie (aristocratie de sang ou aristocratie de l'argent) au sein du WWF. Son président honorifique est le Prince Philippe. Dans une interview exclusive donnée à la WDR, il justifie ainsi la chasse d'animaux sauvages : « Un équilibre doit être créé entre les espèces. On ne peut pas uniquement laisser faire la nature. En décimant les prédateurs, nous protégeons les animaux ». Le prince consort de la Reine d'Angleterre, 'gé de 90 ans, justifie également le fait qu'il a lui-même abattu un tigre en 1961 en remarquant, qu'après tout, il ne s'agit que d'un seul tigre.

Ce secret « Club des 1001 »

Le WWF a été largement financé par des membres de familles aristocratiques européennes. Huismann suppose d'ailleurs que cette ONG a tout simplement été créée parce qu'à l'ère de la décolonisation, la haute noblesse craignait de perdre ses réserves de chasse. D'après l'analyse de Huismann formulée dans l'un des plus gros quotidiens allemands, le Süddeutsche Zeitung (sueddeutsche.de), leur leitmotiv était alors encore celui du colonialisme : « La nature, c'est l'absence de gens, du moins l'absence d'autochtones ».

Au cours des dernières décennies, presque tous les dons et tous les donateurs étaient acceptables aux yeux du WWF : depuis Dow Chemical et Shell jusqu'au groupe Monsanto lui-même (du moins pour la branche WWF des États-Unis). Le Prince Bernhard des Pays-Bas, premier président de l'organisation, a également fondé le « Club des 1001 »; une sorte « de cercle des amis du WWF » au sein duquel les élites occidentales se rencontrent encore aujourd'hui. Ses membres comptent essentiellement des industriels. Dans ses premières années d'existence, même les principales figures du régime d'apartheid d'Afrique du Sud fréquentaient ce Club, tout comme certains membres de la junte argentine ou divers terroristes d'État comme le dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko.

L'adhésion à ce club reste encore bien secrète. Seuls quelques membres importants ont ouvertement déclaré leur appartenance à ce club, principalement des membres de l'aristocratie, indique Huismann. Il ressort de son enquête que de nombreuses figures clés de l'élite industrielle allemande, du moins au milieu des années 1980, figuraient parmi ses membres (comme les banquiers Robert von Pferdmenges et Hermann Abs ou encore Friedrich Flick et Bertold Beitz).

Tout ceci fait partie du passé, précise le narrateur du film. Même si, aujourd'hui encore, le WWF paraît bien peu regardant. En effet, depuis 2010, le soja génétiquement modifié Monsanto est certifié conforme aux critères de « durabilité » d'après la « Table ronde pour la production de soja responsable » (RTRS/ Round Table on Responsible Soy). Or, ce système de certification a été créé à l'initiative du WWF.

Un fait que Hartmut Vogtmann, à la tête de la Deutscher Naturschutzring (Ligue allemande pour la protection de la nature et de l'environnement), trouve tout simplement scandaleux. Dans une lettre interne adressée à Detlev Drenckhahn, président de la branche allemande du WWF, il demande instamment à la WWF de se retirer de l'initiative de « Table ronde pour la production de soja responsable » (RTRS). Dans sa lettre, obtenue par le site sueddeutsche.de, Vogtmann indique que, d'après des études récentes, du fait de la culture du soja, l'usage de pesticides « a considérablement augmenté,”¦ car de plus en plus de mauvaises herbes sont devenues résistantes au Roundup, généralement utilisé dans les cultures de soja ». Sa substance active, le glyphosate, « entraîne des malformations embryonnaires et majore l'incidence des cancers », écrit-il en se référant aux résultats d'une recherche”¦ et de conclure: cette Table ronde, que le WWF a contribué à fonder « maintient artificiellement en vie un système d'agriculture défaillant ».

À ce sujet, le WWF allemand a répondu ceci au site sueddeutsche.de : « Nous continuons de participer à l'initiative RTRS car nous voulons plus de soja non-transgénique et, de façon générale, nous souhaitons minimiser les dégradations environnementales causées par les cultures de soja, comme la destruction des forêts ».

Parallèlement à cela, le WWF allemand a publié un « récapitulatif de faits » sur son site Internet, qui affirme, entre autres: « Nous rejetons le génie génétique. Et nous le ferons jusqu'à ce qu'il soit démontré que les plantes génétiquement modifiées sont totalement inoffensives pour l'environnement, pour la biodiversité et pour l'homme. Cette position de WWF International s'applique à toutes les branches WWF nationales »; en concédant néanmoins que « la position officielle du WWF n'est pas forcément partagée par tous les salariés au sein des organisations nationales individuelles, ce qui est particulièrement vrai dans les pays où la part des cultures génétiquement modifiées dans l'agriculture est déjà très importante, comme les États-Unis ou l'Argentine ».

Même avant sa première diffusion, le documentaire avait déjà provoqué une certaine agitation au sein de la branche allemande du WWF. Des tentatives ont été menées, par le biais de mises en garde et d'interventions d'avocats spécialistes des médias, pour influencer la diffusion et pour supprimer certaines interviews.

Et que penser du fait que l'organisation, en réponse aux questions posées par le quotidien Süddeutsche Zeitung, a admis avoir accepté des dons de Monsanto? Ou même du fait que la promotion du génie génétique menée par Jason Clay est qualifiée « de position isolée d'un tiers extérieur »? Ce qui n'est pas le cas, puisqu'il s'agit tout de même du vice-président de l'organisation mondiale du WWF.

Copyright 2011 © sueddeutsche.de GmbH / Süddeutsche Zeitung GmbH


1. Cet article a été posté le 22 juin 2011 à 17h00 sur la page d'accueil du site sueddeutsche.de, où il est resté en première position pendant plus de 24 heures avant d'être relégué un peu plus bas pour laisser la place aux nouvelles plus urgentes. Il est resté sur la page d'accueil jusqu'à la soirée du 24 juin, date de publication d'un autre article sur le même sujet dans la version imprimée du Süddeutsche Zeitung (p. 19 Im Namen des Pandas: Der WDR dokumentiert die Verstrickung des Naturschutzverbandes mit Industrie und Lobbyisten). Ce deuxième article se focalisait alors davantage sur les événements survenus immédiatement après la diffusion du documentaire télévisé.
2. Article original traduit de l'allemand vers l'anglais par Traductions Larrass, Ottawa
3. Consultable en ligne dans les archives du site Internet d'ARD à l'adresse  http://bit.ly/ARDPandaPakt